baoule

LA LÉGENDE BAOULÉ.
(transcrit par Bernard Dadié)
Il y a longtemps, très longtemps, vivait au bord d’une lagune calme, une tribu paisible (mírní) de nos frères. Ses jeunes hommes étaient nombreux, nobles et courageux, ses femmes étaient belles et joyeuses. Et leur reine, la reine Pokou, était la plus belle parmi les plus belles.
Depuis longtemps, très longtemps, la paix était sur eux et les esclaves mêmes, fils des captifs des temps révolus (dávno), étaient heureux auprès de leurs heureux maîtres.
Un jour, les ennemis vinrent (přišli) nombreux comme des magnans (červení mravenci) Il fallut quitter les paillotes (slaměné chýše), les plantations, la lagune poissonneuse, laisser les filets (sítě), tout abandonner pour fuir(utéct.)
Ils partirent dans la forêt.
Ils laissèrent aux épines (trni) leurs pagnes (suknice), puis leur chair (kůže.) Il fallait fuir toujours, sans repos, sans trêve (neustále), talonné (pronásledováni) par l’ennemi féroce.
Et leur reine, la reine Pokou, marchait la dernière, portant au dos son enfant.
À leur passage l’hyène ricanait (zlomyslně se smála), l’éléphant et le sanglier (cochon sauvage) fuyaient, le chimpanzé grognait et le lion étonné s’écartait du chemin.
Enfin les broussailles (křoví) apparurent, puis la savane et les rôniers (palmy) et, encore une fois, la horde entonna (začala zpívat) son chant d’exil :
Mi houn Ano, Mi houn Ano,blâ ô
Ebolo nigué, mo ba gnan min –
(Mon mari Ano, mon mari Ano, viens,
Les génies de la brousse m’emportent.)
Harassés, exténués (velmi unavení), amaigris, ils arrivèrent sur le soir au bord d’un grand fleuve dont la course se brisait sur d’énormes rochers. Et le fleuve mugissait (bučela), les flots montaient jusqu’aux cimes des arbres et retombaient et les fugitifs étaient glacés d’effroi (zkamenělí hrůzou.)
Consternés, ils se regardaient. Était-ce là l’Eau qui les faisait vivre naguère (kdysi), l’Eau, leur grande amie ? Il avait fallu qu’un mauvais génie l’excitât contre eux.
Et les conquérants devenaient plus proches. Et pour la première fois, le sorcier (kouzelník) parla :
- L’eau est devenue mauvaise, dit-il et elle ne s’apaisera que quand nous lui aurons donné ce que nous avons de plus cher.
Et le chant d’espoir retentit (zazněl) :
Ebe nin flê nin ba
Ebe nin flâ nin nan
Ebe nin flê nin dja
Yapen’sè ni dja wali
Quelqu’un appelle son fils
Quelqu’un appelle sa mère
Quelqu’un appelle son père
Les belles filles se marieront
Et chacun donna ses bracelets d’or et d’ivoire, et tout ce qu’il avait pu sauver.
Mais le sorcier les repoussa du pied et montra le jeune prince, le bébé de six mois :
- Voilà, dit-il, ce que nous avons de plus précieux.
Et la mère, effrayée, serra son enfant sur son cœur. Mais la mère était aussi la reine et, droite au bord de l’abîme, elle leva l’enfant souriant au-dessus de sa tête et le lança dans l’eau mugissante.
Alors les hippopotames, d’énormes hippopotames émergèrent et, se plaçant les uns à la suite des autres, formèrent un pont et sur ce pont miraculeux le peuple en fuite passa en chantant :
Ebe nin flê nin ba
Ebe nin flâ nin nan
Ebe nin flê nin dja
Yapen’sè ni dja wali
Quelqu’un appelle son fils
Quelqu’un appelle sa mère
Quelqu’un appelle son père
Les belles filles se marieront
Et la reine Pokou passa la dernière et trouva sur la rive (břeh) son peuple prosterné (padl na tvař.)
Mais la reine était aussi la mère et elle put dire seulement "baouli", ce qui veut dire : l’enfant est mort.
Et c’est grâce à la reine Pokou [que] le peuple garda le nom de Baoulé *.