Contes populaires berbères/recueillis, traduits et annotés par René Basset.... 1887. (retravaillé par Tratrick pour admir-legende) Les contenus originaux accessibles sur le site Gallica.

 

2 enf

 Les deux enfants.

 

 

Un homme avait deux enfants, il avait aussi une femme. Chaque jour ilramenait deux perdrix.

Sa femme lui dit :

— Ces perdrix ne nous suffisent plus, il faut que tu perdes les enfants.

Lui, il ne pouvait pas vivre sans ses enfants, mais il ne pouvait pas dire « non » à sa femme.

Il lui dit :

— D’accord, je vais les égarer. 

Il mit la fille dans la mangeoire d’une vache et le garçon dans la mangeoire d’un bœuf.

Au moment du repas il leur dit :

— Où êtes-vous ? 

Il dit :

— Où es-tu, ô, Fatima, ma fille ? 

La fille vint.

Il dit :

— Où es-tu, ô, Muhammad, mon fils ?

Le garçon vint.

Sa femme, fâchée, prit la patte d’une perdrix, frappa son mari et l’aveugla.

Elle lui dit :

— Je t’ai dit de les perdre, mais tu les as seulement mis à côté de nous !

Elle lui dit, encore une fois :

— Tu dois les égarer !

Il les amena dans une forêt et les abandonna sur un rocher.

Il accrocha pour eux un lézard dans une citrouille.

Il leur dit :

— Quand le lézard bouge, vous saurez que je viens.

 

Les enfants restèrent là-bas, attendant, longtemps.

Chaque fois que le lézard bougeait, ils disaient :

— Voilà, papa va venir !

Quelques jours s’écoulèrent. Vient la nuit, vient le jour, vient la nuit, vient le jour, jusqu’à ce qu’ils fussent affamés.

La fille demanda à son frère :

— Qu’est-ce que nous allons faire ?

Le garçon lui dit :

— Disons : « monte, monte, ô rocher ; nous sommes les orphelins égarés » et nous verrons ce qui va se passer.

Avant de dire ces paroles, il dit à sa sœur :

— Quand je dis ces mots, ne te moque pas de moi ! 

Ils étaient là, affamés, et ils dirent :

— Monte, monte, ô rocher ; nous sommes les orphelins égarés !

Le rocher monta. Un plat de couscous avec un os et une mouche étaient posés sur le rocher.

Une voix, leur dit :

— Quand vous mangez, ne cassez pas l’os et ne jetez pas la mouche !

Ils firent toujours ainsi chaque fois qu’ils avaient faim.

— Monte, monte, ô rocher ; nous sommes les orphelins égarés !

 

Un jour, le garçon dit à sa sœur :

— Essayons de voir ce qui se passe si nous cassons l’os et jetons la mouche.

Ils mangèrent, cassèrent l’os et jetèrent la mouche.

Ils restèrent au même endroit, jusqu’à ce qu’ils eurent faim.

Ils dirent :

— Monte, monte, ô rocher ; nous sommes les orphelins égarés.

Le rocher refusa de monter. Ils restèrent là, mourant de faim. Le rocher ne leur donna rien.

 

La nuit, le garçon dit à sa sœur :

— Je vais chercher de quoi manger.

La fille lui dit :

— Je t’accompagne. 

— Non.

— D’accord.

Ils dormirent ; elle se leva. Pendant qu’il dormait, elle attacha le bout de son voile au bout de la chemise de son frère. Quand il se réveilla, il la tira ; puis elle se réveilla aussi et lui dit :

— Je veux t’accompagner ! J’insiste !

 

Ils marchèrent jusqu’à une forêt. Là ils virent quelques lumières. Quand ils

arrivèrent, ils trouvèrent la grotte d’une ogresse. Ils s’y installèrent et guettèrent cette ogresse qui était borgne. Elle était assise et battait le lait. Elle avait préparé une marmite de tagulla (une bouillie épaisse de céréales) et était en train de battre le lait. Les enfants s’approchèrent, le garçon mit une quantité de bouillie dans sa chemise et sortit.

 

Un jour, la fille dit :

— Je veux t’accompagner pour voir cette ogresse !

Il lui dit :

— Tu vas rire ! Tu vas rire si tu l’entends parler !

Elle lui dit :

— Mais non !

— Tu vas rire !

— Mais non !

— D’accord, partons !

Il l’accompagna et ils arrivèrent là-bas. La fille entendit l’ogresse dire :

— dugsˇul ddueaniz, dugsˇul dugndiz7, la peau d’âne dans laquelle je bats le lait, qu’elle sèche, qu’elle devienne totalement beurre. 

La fille se mit à rire.

L’ogresse les vit, les prit et les emprisonna.

Elle leur dit :

— Je vais vous engraisser et après je vais vous manger.

Elle mit le garçon et la fille dans une chambre pleine d’amandes.

Elle inspectait régulièrement leurs ongles (pour examiner) s’ils avaient grossi.

 

Quand ils eurent engraissé, elle leur dit :

— Je vais vous manger !

 Les enfants, étant emprisonnés là, savaient que son mari revenait (toujours) au coucher du soleil après avoir gardé le troupeau, mettant sa bouche en face d’une fenêtre, il disait :

— Mon pain, mon pain, ô, tante Mbarka. (Chaque jour)

elle jetait un pain dans sa bouche et la porte s’ouvrait.

 

Pendant qu’il était parti, elle leur dit :

— Venez souffler sur le feu pour le pain de ce jour de fête. 

(Auparavant) le garçon avait dit à sa sœur :

— Si elle te demande (de souffler sur le feu), dis-lui :

— « non, ma mère m’a seulement appris à balayer et à apporter de l’eau ! »

 Elle appela le garçon, elle lui dit :

— Souffle sur le feu ! 

Il lui répondit :

— Je ne sais pas comment souffler sur le feu, je ne sais qu’apporter le bois et faire paître les moutons ! 

— Eh bien, attends, je soufflerai moi-même !

Elle souffla et souffla. Alors qu’elle était en train de souffler, ils la poussèrent, et elle tomba dans le feu.

Elle leur dit :

— Aïe, aïe, versez sur moi de l’eau, de l’eau, ô humains. 

La fille se précipita pour prendre une outre d’eau et voulait la verser sur l’ogresse.

Son frère la lui arracha des mains et la versa sur sa sœur.

Il versa du goudron sur l’ogresse pour la faire brûler totalement.

 

Le garçon et la fille prirent un soc, le mirent dans le feu, jusqu’à ce qu’il fût devenu complètement rouge.

L’ogre revint. Il mit sa bouche devant la fenêtre en disant :

— Mon pain, mon pain, ô, ma tante Mbarka.

Ils jetèrent le soc chauffé à blanc dans sa bouche et le tuèrent.

 

Il leur restait la maison et le troupeau. Eh bien, son frère montait à cheval et était berger et la fille restait à la maison. Un jour, elle monta sur le toit pour se peigner les cheveux. Alors qu’elle était en train de se peigner les cheveux, un cavalier la vit de loin et s’approcha.

Il lui dit :

— Donne-moi à boire !

— Je n’ai pas de quoi te donner à boire.

— Verse le seau d’eau sur tes cheveux et fais descendre tes cheveux à moi.

Elle se versa le seau d’eau sur les cheveux et les fit descendre vers lui, il monta et enleva, la fille.

 

Son frère, revenu, l’appela, mais il n’y avait personne.

Il fit venir les moutons ; il dit à chacun :

— Frappe la porte !

Il fit venir tous les moutons forts ; ils frappèrent la porte jusqu’à ce qu’ils ne pussent plus.

Il amena un mouton maigre, c’était lui qui enfonça la porte et la jeta à terre.

Il cherchait sa sœur partout, mais sans succès.

Il prépara son bagage et partit pour chercher sa sœur en prenant avec lui une toupie d’or, un seau d’or et un bâton d’or.

 

Pendant sa marche il trouva quelques femmes en train de puiser de l’eau à l’aide de sabots d’ânes.

Il demanda à chacune d’elles :

— Donne-moi à boire !

Mais chacune lui disait :

— Non, tu vas me casser les sabots.

À l’exception d’une femme qui lui donna à boire. Quand il eût bu, il frappa le sabot et le cassa.

Les femmes se moquèrent de lui. Il sortit le seau en or et le donna à la femme généreuse.

Toutes les femmes lui disaient :

— Voilà quelque chose à boire ! 

Mais il leur dit :

— Non, merci !

 

Il partit et trouva quelques garçons qui jouaient à l’allayg (un jeu de bâtons qui se touchent dans l’air).

Il leur dit :

— Permettez-moi de jouer avec vous.

Ils lui dirent :

— Non, tu vas nous casser nos bâtons.

Mais l’un d’eux prit le sien et le lui donna. Lorsqu’il lança le bâton, un autre lança le sien et il le cassa.

Les garçons se moquèrent de lui. Il prit alors le bâton d’or et l’offrit au garçon généreux.

Les autres lui offrirent les leurs :

— Voilà, joue avec nous !

Mais il leur dit :

— Non, merci !

 

Ensuite il alla chez d’autres garçons qui étaient en train de jouer avec des toupies.

Il leur dit :

— Permettez-moi de jouer avec vous.

Chacun lui dit :

— Vous allez me casser ma toupie !

Sauf un garçon, qui lui donna la sienne. Il la jeta et la cassa. Ils se moquèrent de lui. Il prit la toupie en or et la lui offrit.

Les autres lui dirent :

— Voilà, joue avec nous !

— Non, merci !

 

Les garçons, retournés chez eux, racontèrent l’histoire à leur mère qui se mit à réfléchir et à deviner.

Elle se disait :

— Que Dieu me montre si cet homme est mon frère.

Elle envoya ses enfants vers lui et leur dit :

— Accompagnez cet homme jusqu’ici.

Quand il fût arrivé auprès d’elle, il lui raconta tout ce qui lui était arrivé. Elle sut qu’il était son frère. Elle lui demanda de rester chez elle.

 

Un jour, le roi (le mari de sa sœur) lui dit :

— Toi, tu es mon beau-frère. Tiens, coiffe-moi les cheveux, mais ne dis à personne que j’ai des cornes.

Mais l’homme ne put garder le secret. Il alla au désert où il trouva une citerne ancienne dont il puisa de l’eau.

Il dit :

— Ô citerne du désert, ô citerne du désert, le roi a des cornes !

Alors qu’il parlait, un peu de salive tomba sur la terre. De cette salive poussèrent des roseaux.

De ces roseaux, les bergers font encore, leurs flûtes qui disent :

— Ôciterne du désert, ô citerne du désert, le roi à des cornes !

 

 

CONTES BERBÈRES EN TACHELHIT D’AGADIR