LE GENOU DE LA DÉESSE
Conte de Finlande
Au XIXe siècle, un jeune médecin finlandais recueille de vieilles légendes en forme de poèmes, contées par les paysans, à la veillée. Il en fait un long récit, qu’il publie, le Kalevala.
Au début du Kalevala, le monde n’existe pas encore, la déesse flotte sur les eaux et voici qu’un oiseau vient pondre ses œufs sur son genou…
Au commencement, il n’y avait que le ciel, vide, il n’y avait que la mer, vide, et
Luonnotar, la belle déesse, la fille de l’air, s’ennuyait.
Elle descendit du ciel, se posa sur les vagues, sur le dos brillant de la mer.
Elle joua avec les gouttes salées, elle joua avec l’écume blanche, puis elle s’étendit sur les eaux, sa chevelure flottant autour de son visage.
Doucement ballottée par les courants, bercée par le mouvement incessant de l’eau, elle s’endormit.
Alors surgit du fond de l’horizon un oiseau gigantesque, c’était la femelle d’un aigle.
Elle était lasse, elle cherchait un endroit où bâtir son nid, où pouvoir déposer ses œufs. Elle parcourut l’espace du regard, elle ne vit que des vagues. Elle agita désespérément les ailes. Leur battement réveilla la déesse.
Elle ouvrit les yeux.
L’oiseau géant s’épuisait au-dessus d’elle. Luonnotar comprit et lentement sortit de l’eau son genou pour que l’aigle s’y pose.
L’aigle construisit son nid, y pondit six œufs d’or, un œuf de fer, et couva.
Un an, deux ans, neuf ans…
Au cours de la dixième année, la chaleur dans le nid devint telle que la déesse en fut gênée. Malgré elle, elle étendit la jambe, les œufs se brisèrent, l’aigle s’enfuit.
Le monde naquit.
La partie inférieure des coquilles devint la terre courbe.
La partie supérieure, la voûte céleste.
Le blanc de l’œuf, le soleil éclatant.
Le jaune, la lune et les étoiles lumineuses.
Et les débris de l’œuf de fer se transformèrent en nuages.
Le monde existait, mais il était incomplet.
Beaucoup de temps encore s’écoula. Ce fut la déesse qui l’acheva.
Après des années et des années, un jour, elle sortit de l’eau.
Du bout des doigts, elle façonna golfes et baies, monts et vallées.
En étendant les bras, elle dessina les plaines, en frappant le sol du talon, elle creusa des trous à poissons, en marchant le long du rivage, elle fit surgir une île à chacun de ses pas.
Puis elle tordit ses cheveux ruisselants et les filets d’eau qui en découlaient formèrent lacs, fleuves, torrents et cascades.
Ainsi fut créé le monde et la Finlande, le pays aux quarante mille lacs, put ouvrir, entre sable et rochers, ses yeux d’azur.