zuni

L’ascension.

Conte des Indiens Zuni (Amérique du Nord)

 

Aux yeux des Zuni, la terre est belle et elle existait déjà avant que l’évolution de l’homme soit achevée.

C’est à l’homme de s’adapter à la terre, ce n’est pas la terre qui doit se soumettre à l’homme.

Car la terre, et tout ce qu’elle porte, et tous les éléments, et tous les hommes, appartiennent à la même famille et participent à la même vie.

Quelle belle leçon de sagesse !

 

Au commencement, quatre mondes s’étageaient, du bas jusqu’en haut, des mondes obscurs et malodorants.

Au-dessus d’eux s’étendait la terre, déjà formée, déjà belle, avec ses forêts, ses collines et ses sources, et sur la terre rayonnait le père Soleil.

Tout en bas, dans le quatrième monde, vivaient des êtres, mi-animaux, mi-hommes. Ils n’étaient pas achevés. Une toison les recouvrait, formant des touffes sur le haut de leur tête, comme des cornes. Ils avaient une queue, des yeux, mais pas de bouche, des fesses, mais pas de trou dans le derrière, et leurs pieds et leurs mains étaient palmés.

Ils s’agitaient dans le quatrième monde, tout en bas, dans le noir.

Ils ne pouvaient pas se voir, juste se sentir. Ils se marchaient dessus et se jetaient leurs ordures les uns sur les autres.

Ils avaient du mal à respirer.

Ils vécurent ainsi quatre jours aussi longs que quatre années.

Très loin au-dessus d’eux, sur la terre, le père Soleil se désolait, parce qu’il n’y avait pas d’humains pour l’honorer et lui dresser des bâtons de prière.

Alors il pensa aux êtres du quatrième monde, il eut pitié d’eux et il dit :

— Il faut que ces êtres montent jusqu’à ma lumière et ils deviendront mon peuple.

Pour les aider, il leur envoya ses deux fils, les deux prêtres divin, Jeune Frère et Frère Aîné.

Les deux frères étaient nés quand le père Soleil avait percé de ses rayons la brume qui enveloppait la terre.

En trois jours, ils étaient devenus adultes, capables de descendre chercher les êtres d’en bas.

Le quatrième jour, Jeune Frère dit à Frère Aîné :

— Nous sommes nés depuis quatre jours, nous sommes en âge de travailler. Notre terre est bonne, mais personne ne l’habite. Allons vers le sud-ouest. Là, en dessous, dans le quatrième monde, il y a des êtres qui vivent à l’étroit, dans le noir. Ils se marchent dessus, ils se jettent leurs ordures les uns sur les autres. Et pourtant ils appartiennent à la même famille que nous. Ils sont nos frères et nos enfants. Il faut qu’ils montent jusqu’à ce monde-ci pour connaître notre père le Soleil.

Frère Aîné répondit :

— Qu’il en soit ainsi.

Les deux frères, qui étaient prêtres divins, se dirigèrent vers le sud-ouest, jusqu’à l’entrée du quatrième monde.

Ils descendirent d’abord dans le premier monde, faiblement éclairé, puis dans le deuxième monde, sombre, dans le troisième monde, encore plus sombre, enfin ils arrivèrent dans le quatrième monde.

Là, c’était l’obscurité totale.

Les êtres qui y vivaient ne pouvaient pas se voir. Pour se reconnaître, ils se tâtaient dans le noir et promenaient leurs mains palmées sur leurs visages.

Certains parmi eux s’aperçurent de la présence des deux prêtres divins et dirent :

— Il y a deux étrangers parmi nous. D’où venez-vous, étrangers ? Mais vous êtes nos pères, les prêtres divins !

Tous les êtres accoururent pour tâter le visage des prêtres divins, en disant :

— Nos pères ! Vous êtes venus !… Montrez-nous comment sortir d’ici.

Nous avons entendu parler de notre père le Soleil et nous voulons le voir.

Les deux frères répondirent :

— Nous sommes là pour vous conduire sur la terre où vous verrez le soleil. Nous suivrez-vous ?

— Oui, nous vous suivrons. Dans ce monde-ci, nous ne pouvons pas nous voir. Nous marchons les uns sur les autres, nous nous jetons nos ordures les uns sur les autres. C’est un monde répugnant. Nous attendons depuis longtemps que quelqu’un nous conduise vers le père Soleil. Mais nos frères du nord doivent venir avec nous.

— Qu’ils viennent, dirent les prêtres divins.

Et il en fut de même pour les êtres de l’est, pour ceux du sud et pour ceux de l’ouest.

— Comment pouvons-nous accéder au monde éclairé par la lumière du jour ? demandèrent les êtres d’en bas aux deux frères.

Jeune Frère se dirigea vers le nord.

Il tenait des graines à la main. Il les enfonça dans la terre, fit un tour complet sur lui-même, quand il se retourna, un pin déjà grand était sorti du sol.

Il fit un second tour et les branches de l’arbre avaient atteint toute leur taille. Il arracha une branche et la donna aux êtres.

Il agit de même à l’ouest, en plantant un épicéa, au sud, en plantant un sapin blanc, à l’est, en plantant un tremble.

Puis il dit aux êtres d’en bas :

— Maintenant nous pouvons aller dans le monde supérieur. Gens de mon peuple, soyez prêts et prenez avec vous vos affaires.

Les deux prêtres divins prirent la branche de pin du nord, en guise de bâton de prière, et la plantèrent dans le sol.

Les êtres grimpèrent dessus et, tandis que roulait le tonnerre, ils entrèrent dans le troisième monde.

Il y faisait moins sombre et cela les gêna.

— Est-ce ici que nous devons vivre ? demandèrent-ils.

— Pas encore, répondirent les deux frères.

Les êtres demeurèrent là quatre jours, aussi longs que quatre années, puis les prêtres dressèrent, comme un long bâton de prière, la branche de l’épicéa poussé à l’ouest et, tandis que grondait le tonnerre, les êtres parvinrent dans le deuxième monde, un monde plongé dans la pénombre.

Cependant ils furent éblouis.

— Est-ce ici que nous devons vivre ?

— Pas encore.

Au bout de quatre jours aussi longs que quatre années, les prêtres enfoncèrent dans le sol la branche du sapin blanc grandi au sud et, dans un grondement de tonnerre, les êtres atteignirent le premier monde.

Une lumière rouge, comme celle de l’aurore, l’éclairait.

Les êtres, aveuglés, eurent du mal à garder les yeux ouverts. Mais bientôt ils purent se voir, voir leurs corps couverts de cendres et de saletés, leurs têtes pleines d’une boue verdâtre. Cela les rendit tristes.

— Est-ce ici que nous devons vivre ?

— Pas encore.

Ils y restèrent quatre jours aussi longs que quatre années, puis les prêtres saisirent la branche du tremble de l’est et la fichèrent en terre.

Le tonnerre résonna comme les êtres accédaient au monde supérieur, baigné par la lumière du jour.

Les deux prêtres divins arrivèrent les premiers, puis les hommes médecine avec leurs ballots de remèdes, puis tous les êtres.

La clarté du soleil les éblouissait tellement que leurs yeux douloureux étaient pleins de larmes.

— Regardez le soleil, même s’il vous blesse, regardez bien votre père le Soleil, leur dit Jeune Frère.

Ils pleuraient tant ils souffraient et, au fur et à mesure que ces larmes, causées par le soleil, tombaient sur la terre, il en naissait des fleurs, qui ressemblaient à l’astre, boutons-d’or et tournesols.

— Est-ce ici que nous allons vivre ? demandèrent les êtres.

— Oui, dirent les prêtres divins, c’est dans ce monde éclairé par notre père le Soleil.

Les êtres demeurèrent là quatre jours aussi longs que quatre années.

— Il est temps à présent, dirent les prêtres divins, que notre peuple apprenne à manger.

Ils semèrent du maïs et, par magie, celui-ci poussa si vite qu’il put bientôt être moissonné.

Quand les êtres l’eurent en leur possession, ils le reniflèrent.

Mais ils ne pouvaient pas l’avaler, car ils n’avaient pas de bouche.

Les deux frères s’en attristèrent.

Jeune Frère dit à Frère Aîné :

— Attendons la nuit et pendant qu’ils dormiront, nous irons leur tailler des bouches.

Ce qu’ils firent. Comme ils avaient affûté leur couteau sur une pierre à aiguiser rouge, les bouches furent rouges.

Le lendemain matin, quand le soleil se leva, les êtres s’étonnèrent d’avoir des bouches.

Ils avaient peur. Ils craignaient d’avoir été ouverts et mis en morceaux pendant leur sommeil.

Mais bientôt ils eurent faim. Ils mangèrent du maïs et burent de l’eau.

La nuit suivante, ils se sentirent gênés, ils ne pouvaient pas évacuer la nourriture qu’ils avaient ingurgitée, ils n’avaient pas de trou dans le derrière.

Les prêtres divins s’en aperçurent et leur creusèrent un trou entre les fesses. Comme le couteau dont ils s’étaient servis avait été aiguisé sur une pierre noire, le trou devint noir.

À présent les êtres pouvaient manger et digérer, mais leurs mains palmées les rendaient malhabiles.

Ils avaient du mal à se servir d’une meule pour moudre le maïs, le réduire en farine et en faire des gâteaux.

Ils avaient du mal à se laver les mains.

Ils traînaient aussi les pieds.

Jeune Frère dit à Frère Aîné :

— C’est désolant que ces gens aient des mains et des pieds palmés.

Coupons la membrane qui unit leurs doigts et séparons-les.

— Qu’il en soit ainsi, répondit Frère Aîné.

Le lendemain matin, les êtres, d’abord effrayés d’avoir des doigts et des orteils séparés, se rendirent vite compte que c’était plus pratique pour travailler et pour marcher.

Mais ils avaient encore des queues et des cornes.

— Si nous les leur coupions ? suggéra Jeune Frère.

— Qu’il en soit ainsi !

Il en fut ainsi et les êtres se réjouirent… Ils étaient achevés.

Ils étaient devenus des hommes.