Le mensonge du lézard

Le mensonge du lézard  

(Conte du Kenya. Afrique)

 

Les deux contes africains qui suivent, pleins de malice, vous expliqueront pourquoi l’homme n’est pas immortel, malgré la bonne volonté du Créateur. Dire qu’il a failli l’être… Il s’en est fallu de peu !

 Waaqa, le Dieu tout-puissant, créa le ciel et la terre. Puis il créa les êtres qui peuplent les monts et les plaines, l’eau et l’air et, pour leur donner vie, il souffla dessus.

Ensuite il créa la mort qui met fin à toute existence.

Parvenu à ce point de son travail, il réfléchit et résolut de faire une exception – une seule.

Ce serait pour la lune ou pour l’homme.

L’une de ces deux créatures ne mourrait pas. Mais laquelle ?

Il hésitait. Finalement il se décida en faveur de l’homme.

Lui seul, parmi les êtres créés, vivrait éternellement.

Bon, mais l’homme n’en savait rien – ni la lune d’ailleurs.

Il fallait les prévenir.

Waaqa leur envoya le lézard en guise de messager.

Il irait d’abord chez la lune, qui habitait plus loin, ensuite chez l’homme.

Le lézard se mit en route, par les plaines, par les monts, dans le sable et la poussière, s’arrêtant de temps en temps à l’ombre d’un sycomore, cherchant de quoi se nourrir, un peu d’herbe, un peu d’eau, en vain la plupart du temps, car partout régnaient la chaleur et la sécheresse.

Enfin au terme d’un long et pénible voyage, affamé et assoiffé, il arriva chez la lune. La lune se trouvait à l’intérieur de sa case et, devant celle-ci, sur un petit feu de bois, était posée une marmite dans laquelle bouillonnait un liquide d’un beau rouge.

— C’est de la soupe, pensa le lézard. De la bonne soupe ! La lune va sûrement m’en offrir… Non, ce n’est pas si sûr… Elle m’en voudra si je lui apprends qu’elle est mortelle. On n’aime guère les porteurs de mauvaises nouvelles… Eh bien, je ne le lui dirai pas… Je lui dirai même le contraire. Qui saura que c’est un mensonge ?

Le lézard entra dans la case, salua la lune et lui annonça que le Créateur l’avait choisie, elle, elle-même, pour lui offrir l’immortalité.

— Merci, oh merci, dit la lune. Tu as fait un long chemin pour m’annoncer la nouvelle… Tu dois avoir faim et soif. C’est bien malheureux que je n’aie rien à t’offrir.

— Mais… dit le lézard, et la soupe, dehors, dans la marmite ?

— Mon pauvre ami ! Ce n’est pas de la soupe, c’est de la teinture pour que je puisse repeindre les murs de ma case !

— Ah… ah… fit le lézard. Ah… Ma sœur… J’ai quelque chose de très embarrassant à te dire… Je crois que je me suis trompé… J’étais si fatigué que ma langue a fourché, mon esprit s’est embrouillé… Ce n’est pas toi, c’est l’homme que Waaqa a choisi. C’est lui qui ne mourra jamais.

— Ce qui a été dit ne peut être dédit, répliqua la lune avec fermeté. Quand on a craché sur le sol, on ne peut ravaler sa salive.

Que vouliez-vous que fasse le lézard ?

Il s’en alla, déçu, confus et toujours affamé, et s’en retourna sur la terre apprendre à l’homme la mauvaise nouvelle.

Depuis ce temps-là, la lune ne meurt pas, elle fait semblant et disparaît une nuit par mois, mais elle renaît la nuit suivante.

L’homme, lui, meurt pour de bon quand sa vie parvient à son terme.

Et, naturellement, il en veut au lézard.

Chaque fois qu’il en aperçoit un, il le poursuit et tente de l’écraser.

Mais le lézard s’échappe.

Heureusement pour lui, il est beaucoup plus vif que l’homme !