La lenteur du caméléon

La lenteur du caméléon

Conte ndebele (Zimbabwe, Afrique)

 

Si l’homme n’est pas immortel, malgré la bonne volonté du Créateur, c’est, à chaque fois, par la faute du messager. Vraiment, le Créateur aurait mieux fait de se déranger lui-même ! Mais peut-être qu’au fond il ne souhaitait pas vraiment que l’homme devienne immortel, et donc semblable à lui…

 

Quand le Créateur eut fini de créer le monde, il lui restait encore une tâche, agréable à vrai dire. Il s’agissait de faire à l’une de ses créatures le don de l’immortalité. À qui le ferait-il ?

Il hésitait. Évidemment, il pensait à Premier Homme, cet être insupportable qui se croyait supérieur aux autres animaux, parce qu’il se tenait sur ses pattes arrière et était capable de lever la tête, en regardant le ciel, pour savoir s’il pleuvrait.

Mais enfin, le Créateur avait créé Premier Homme à son image… Cela donnait à l’homme quelque avantage.

Le Créateur décida donc de faire à Premier Homme ce cadeau royal : le don de l’immortalité.

Pour cela, il suffisait que Premier Homme boive une gorgée de l’eau d’un certain fleuve, caché dans certaines hautes herbes et spécialement béni par le Créateur lui-même. Après quoi, non seulement Premier Homme ne mourrait pas, mais aucun de ses descendants non plus.

Loin du fleuve en question et loin du Créateur, au beau milieu de la savane, Premier Homme était occupé à jouer son rôle d’homme, de chasseur, de mangeur de chair, et il se pavanait, marchant fièrement sur ses deux jambes, la tête haute et jetant un regard de pitié sur les animaux qui se déplaçaient sur leurs pattes, les yeux baissés.

Premier Homme ignorait tout du cadeau royal que voulait lui faire le Créateur.

S’il l’avait su, quelle n’aurait pas été son attitude !

Le Créateur devait le prévenir. Qui, parmi toutes les bêtes, pourrait porter à l’homme la bonne nouvelle ?

Le Lion ?… Le Lion avait beau être le roi des animaux, il était paresseux, tout le monde le savait.

La Lionne était trop occupée à nourrir sa marmaille.

Le Chacal ?... Celui-là, on ne pouvait guère se fier à lui.

Le Vautour ? … Il s’arrêterait en route pour se repaître de charognes.

Le Perroquet ?… Trop bavard.

L’Antilope ?… Trop fuyante.

La Fourmi ?… La Fourmi… Peut-être… Non, trop petite, trop laborieuse.

Bref, aucun animal ne semblait convenir.

Finalement le Créateur choisit un brave garçon, un peu lent, mais en qui on pouvait avoir toute confiance… Caméléon.

Après avoir longuement réfléchi, avant d’accepter, et fait, sans se presser, ses préparatifs de voyage, Caméléon se mit en marche, lentement, lentement, sûrement — lenteur est mère de sûreté.

À chaque pas, il avançait une patte, mais avant de la reposer sur le sol, il hésitait — on ne prend jamais trop de précautions —, demeurait quelques minutes la patte en l’air — on ne sait pas ce qu’il peut se passer —, esquissait un mouvement en arrière – ne valait-il pas mieux s’en retourner ? —, finalement se décidait à poser la patte en avant. Ensuite, soulevant l’autre patte, retombait dans les mêmes doutes et les mêmes angoisses.

Bref, vous l’avez compris, Caméléon n’allait pas vite. Au bout d’un très long temps — plusieurs semaines, plusieurs mois, plusieurs années ?

Il arriva enfin auprès de Premier Homme. Il lui délivra son message — oh, lentement, lentement, un mot après l’autre, surtout pas de précipitation, la précipitation est source d’erreurs, c’est connu.

Dès que Premier Homme eut compris ce dont il s’agissait, il bondit dans les hautes herbes, à la recherche du fleuve.

C’était là… Non, là…

L’eau aurait dû se trouver là…

Dans ce qui avait été le lit du fleuve, dans le sable, au milieu des cailloux, pas le moindre ruisselet, la moindre flaque, la moindre goutte, la moindre trace d’humidité. Premier Homme eut beau piétiner le sol, le creuser avec ses ongles, s’aplatir, lécher les cailloux, manger le sable… Rien à faire.

Premier Homme et ses descendants ne seraient jamais immortels.

— C’est ta faute ! cria-t-il à Caméléon.

Et, dans sa rage, il tua la pauvre bête.

Voyant cela, le Créateur hocha la tête.

— J’aurais dû m’en douter, pensa-t-il. Je connais pourtant les hommes. Et maintenant ? Ils ne pardonneront jamais la perte de leur immortalité à ce pauvre animal ni à ses descendants. C’est vrai, il a été trop lent, mais tellement plein de bonne volonté…. Et je suis sûr qu’à la dixième, à la vingtième génération, les hommes continueront à le haïr.

Alors, dans sa bonté, le Créateur permit à Caméléon de se dissimuler, en changeant de couleur suivant son environnement.

Ainsi, pour échapper à ses poursuivants, ce drôle d’animal peut se confondre, dans la savane, avec le sable, les herbes ou les branches.