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La sorcière Wuriri

(Conte aborigène — Australie)

 

Comment expliquer la multiplicité des langues dans le monde ? Les Aborigènes ont réfléchi à la question. D’autres peuples ont donné d’autres explications — pensez à la tour de Babel. Mais toujours, cette multiplication de langages différents, qui empêche les gens de se comprendre, est présentée comme une malédiction.

 

Il y eut un temps où les hommes parlaient tous le même langage.

Ils adoraient se réunir pour chanter, jouer, danser ensemble.

Quand ils voyageaient, où qu’ils aillent, ils étaient toujours bien accueillis, ils s’entendaient parce qu’ils se comprenaient. Et même si leur vie était rude, ils étaient heureux.

Ou plutôt ils l’auraient été sans la sorcière Wuriri.

La sorcière Wuriri ! une vieille plus vieille que le monde, grincheuse et grommelant entre ses dents, ridée, cassée, tordue, pliée en deux sur son bâton, tremblotante et pourtant aussi vigoureuse que tous les esprits mauvais réunis. Et surtout méchante.

Elle ne pensait qu’à faire le mal.

Quand elle voyait les hommes rassemblés autour d’un bon feu, pour manger, pour se raconter des histoires, pour faire de la musique, elle surgissait devant eux, brandissant son grand bâton.

Elle leur tapait dessus et s’approchait du feu, elle écartait les morceaux de bois, elle dispersait les braises, puis elle disparaissait.

Les hommes demeuraient comme paralysés. Plus de feu, plus de joie. Plus moyen de faire cuire les aliments, de se chauffer, de chanter, de jouer, ni de danser ensemble.

Tout le monde avait très peur de la sorcière et de ses pouvoirs magiques.

Enfin, un jour, Wuriri mourut.

Vous le savez sans doute, toutes sorcières qu’elles sont, les sorcières ne sont pas éternelles.

Ceux qui la trouvèrent étendue à leurs pieds, immobile, sans vie, n’en croyaient pas leurs yeux. Et si c’était encore un tour qu’elle leur jouait ?

Ils attendirent un bon moment et, comme elle ne bougeait pas, ils se mirent à crier de joie et, vite, ils envoyèrent des messagers dans le monde entier, pour annoncer la bonne nouvelle aux gens et les inviter à un grand festin.

Et quel festin ! On y mangerait de la sorcière. (En ce temps-là, on était un peu cannibale, on avait l’habitude de faire rôtir ses ennemis et de se régaler avec. Puisqu’ils étaient morts de toute façon, ça ne tirait pas à conséquence.)

Le festin dura neuf jours et neuf nuits. Vous auriez dû les voir, autour d’un feu énorme, tous, même les vieux branlants, les femmes enceintes, les bébés chancelant sur leurs jambes, les nourrissons tétant leur mère. Ils tournaient tous autour des flammes, en dansant et en chantant :

Ah ! Ah ! Ah ! La sorcière est morte !

Nous mangerons Wuriri sous la forme d’un rôti. La sorcière finira dans nos estomacs !

Ah ! Ah ! Ah !

Bien sûr, chacun voulut en avoir un morceau… un bout d’oreille, une bouchée de cuisse ou un petit os du cou.

Cette vieille si décharnée était encore capable de les nourrir tous. C’était un tour de sa magie ! Et ils se régalaient.

Seulement voilà, au fur et à mesure qu’ils mangeaient un morceau de sorcière différent, les hommes se mirent à parler un langage différent.

Ils se regardèrent, ils répétèrent ce qu’ils venaient de dire.

Rien à faire, ils ne se comprenaient plus, mais plus du tout.

Les uns essayèrent de chanter, les autres voulurent discuter, d’autres firent de longs discours pour dire qu’il fallait se taire, d’autres se taisaient. Chacun se demandait ce que l’autre voulait dire et le croyait fou.

Et c’en fut fini de leur belle humeur et de leur bonne entente.

Ils commencèrent à se disputer, ils finirent par se battre.

Cela dure encore aujourd’hui.

La sorcière s’est bien vengée.